« Mon nom est légion… »

 » … car nous sommes plusieurs. »

On est chez Luc, 8 : 30-33 et Marc, 5 : 9-13.

Dans cette scène biblique, où un homme possédé par les démons répond à Jésus qui le somme de livrer son nom, la multiplicité apparaît comme le mal dont il faut délivrer un sujet aliéné et déchu de son unité primordiale.

Mais l’individu égal à lui-même est une abstraction. Chacun est en réalité une multiplicité de fusion dont l’unité n’émerge que suivant les accidents et les rencontres qui constituent de manière rétrospective le fil d’un récit singulier.

L’aliénation ne consiste pas dans l’intégration de l’altérité dans le même, ni dans la présence menaçante du multiple dans l’un, mais dans l’incapacité où je me trouve de démêler mon fil narratif propre et d’admettre qu’il n’est qu’une série de motifs qui se répètent avec des variations infinies sur une tapisserie bien plus vaste et sur laquelle je cesserai un jour de figurer (sans que pour autant sa continuité s’en trouve brisée).

Est-ce l’individu qui doit être libéré des démons ou est-ce le multiple qu’il faut délivrer de la tyrannie de l’un ? Peut-être bien qu’en les faisant passer dans un troupeau de porcs qui se jettent du haut de la falaise pour se refondre dans le Tout mouvant, le Verbe sauve en fait les démons de l’homme qu’ils possédaient et qui menaçait de les fixer à sa triste et morose finitude.

Il n’y a d’unité que dans le multiple, il n’est d’autre Un que le Tout.