« Pour Dieu, belles sont toutes choses, et bonnes et justes »

©Karl Sarafidis

Ainsi, la laideur, le mal et l’injustice ne sont que les effets d’une opération qui vise soit à suspendre le mélange, auquel cas le multiple se retrouve purement fragmenté, sans unité, soit à supprimer toute tension, auquel cas un élément du Tout aura fini par prendre de la place ou celle de tous les autres et par amoindrir ou abolir les contrastes. Nous gagnons beaucoup à revenir aux paroles matinales du plus oriental des Grecs : la pensée d’Héraclite nous invite à admettre le désordre manifeste du monde pour poser un regard plus serein sur les choses et sur l’harmonie cachée que leur entremêlement (dé)voile. Elle nous révèle un monde par-delà le jugement, où les dissonances ne sont pas niées ou atténuées dans l’harmonie universelle et où les désaccords n’ont pas besoin de justification, puisqu’ils exacerbent la beauté, le bien et la justice. Dans le Tout ouvert qui s’écoule perpétuellement, tout ne cesse de se composer et de se décomposer, de se rassembler et de se disperser selon un rythme ininterrompu. Cette succession de mixtions à l’origine du cosmique tout autant que du politique exprime la sagesse de l’Un, ou lógos, à l’écoute duquel les hommes sont tenus de se tenir en en prolongeant le mouvement derrière les remparts du « commun ». Les dieux, qui ont naturellement le sens des limites et du partage, lui sont pour leur part déjà accordés. 

(Extrait « Cosmopolitique de la laideur »)